Appel à communication
Journée d’étude « Questionner l’Effondrement »
Organisateurs : Paul Cary, Nadia Garnoussi, Yann Le Lann, Caroline Senez
Centre de Recherche « Individus, Epreuves, Sociétés », Université de Lille
Jeudi 21 novembre 2019, Maison de la recherche, Université de Lille
L’effondrement économique, social et/ou politique des sociétés contemporaines n’est aujourd’hui pour nombre de chercheurs plus simplement une hypothèse mais bien un processus en cours. Parallèlement aux débats autour du concept d’anthropocène (Bonneuil et Fressoz, 2013 ; Beau et Larrère., 2018), l’émergence de la « collapsologie » (Servigne et Stevens, 2015) et sa forte diffusion médiatique sont le signe d’une transformation de notre rapport collectif à l’avenir.
Lorsque le Club de Rome publie son premier rapport en 1972 (Meadows et al., 2012), la perspective de l’effondrement face à une croissance infinie n’est évoquée que pour un avenir lointain (rien avant 2010). La réponse institutionnelle connaitra des aléas mais débouchera sur quelques avancées conceptuelles (le développement durable), avec une conscience accrue des enjeux (la conférence de Rio 1992) et quelques accords contraignants (comme le protocole de Kyoto signé en 1997).
En 2006, l’ouvrage de Jared Diamond, Effondrement, marque les esprits, de par sa capacité à englober de nombreux enjeux et exemples, la métaphore de l’île de Pâques se révélant aussi convaincante que préoccupante. Diamond délivre cependant un message moins mécaniste ou pessimiste qu’un certain nombre de lecteurs hâtifs ne le pensent. Même dans les situations les plus vulnérables, les sociétés ont une prise sur leur devenir par le biais de la gestion de leurs ressources. Certes, des formes de déni ou d’aveuglement peuvent conduire à des effondrements mais Diamond ne prédit pas des situations inéluctables.
Or, aujourd’hui, en 2019, c’est au cœur même des sociétés ayant connu le développement industriel que l’effondrement est appréhendé. Cette appréhension va de pair avec son déni comme le dernier rapport du GIEC semble le confirmer. « Limiter le réchauffement à 1,5°C », nous dit-il est encore envisageable, si tant est que des mesures d’envergure soient prise. Il s’agirait en particulier de « diminuer de 45% [40-60%] les émissions mondiales nettes de CO2 anthropique d’ici 2030 par rapport à 2010 » et d’atteindre l’équilibre en 2050 (IPCC, 2018, p. 14). Or, les tendances actuelles semblent si éloignées de ces recommandations qu’elles apparaissent comme déconnectées de leur faisabilité. D’autres études autour des Planetary Boundaries (Steffen et al., 2015) font état du franchissement de seuils cruciaux en ce qui concerne l’intégrité de la biosphère ou de perturbations irréversibles des cycles géochimiques du phosphore et de l’azote… Pour d’autres de ces « seuils », nous serions désormais dans une zone d’incertitude (le changement d’affectation des sols et le changement climatique).
Dans des sociétés construites sur des dynamiques de croissance économique, l’appréhension de l’effondrement est de l’ordre de l’inconcevable puisque nos sociétés ont fait de l’illimitation de leur production, de leurs besoins et de leurs rejets la matrice de leur fonctionnement (Latouche, 2015). Or, quand l’inconcevable ne l’est plus, quand la catastrophe devient certaine (Dupuy, 2004), quelles réactions les individus et groupes sociaux peuvent-ils avoir ?
La journée d’études que nous proposons à l’université de Lille propose de réunir des contributions autour de ces questions.
Trois grandes thématiques nous intéressent.
La première renvoie à la question des diagnostics et du scepticisme de la sociologie et des sciences sociales face à ceux-ci. La prévision du futur et les eschatologies ayant mauvaise presse dans des disciplines comme la sociologie, lesquelles se sont construites sur le modèle des sciences de la terre et dans le rejet des spéculations notamment philosophiques, qu’advient-il de leur intérêt lorsque l’effondrement est annoncé par ces disciplines scientifiques dont le modèle de connaissance a longtemps été (voire demeure) une force d’inspiration ? Peut-on considérer que le discours écologique n’est rien de plus qu’un nouveau régime de réalité qui a succédé au régime économique dominant (Martuccelli, 2014) et que les seuils ne sont finalement que des constructions sociales – et qu’à ce titre, leur franchissement est moins problématique qu’annoncé ?
Des contributions interrogeant le rapport critiques aux théories de l’effondrement seront bienvenues, en particulier autour de la « collaspologie ».
La seconde thématique renvoie aux mobilisations sociales face à l’effondrement annoncé. Si les marches pour le climat, entre autres, dessinent le portrait de citoyens qui ne sont pas résignés à la catastrophe écologique, d’autres mouvements (Deep Green Resistance, Extinction Rebellion) soulignent l’urgence de transformations et la nécessité de répertoires d’action différents face au péril. Quelles formes pourrait prendre la « grande transformation » appelée de leurs vœux par certaines de ces mobilisations ? Quel rapport aux institutions et en particulier à l’Etat pour ces mouvements ? Les transformations institutionnelles sont-elles condamnées au niveau local, autour de quelques villes ou territoires emblématiques ?
Toutes les contributions permettant de décrire et d’analyser les nouvelles mobilisations collectives et leur rapport aux institutions face à l’effondrement seront donc bienvenues.
Enfin, la troisième thématique renvoie aux formes de l'expérience que les individus font de l'effondrement. Plutôt que de ramener simplement ces dernières à un affaiblissement des formes traditionnelles de militantisme, il s'agira d'analyser en quoi la condition contemporaine d'individu redéfinit les termes de l'engagement. Ce sont certaines logiques d'intériorisation, de subjectivisation ou encore de psychologisation de l'effondrement qui pourront être interrogées. Ces logiques pourront être vues comme des modalités nouvelles d'opposition, de résistance, de dénonciation, qui font appel à des formes spécifiques de mobilisation ainsi que des dispositifs qui révèlent la valeur accordée à l'expérience subjective des formes de déstructuration sociale/politique/écologique ; on peut penser ici aux différentes utilisations du récit pour témoigner du changement de son rapport au monde (Doidy, 2014) que ce soit sous l'angle d'une conscientisation plus poussée de l'avenir, que sous celui, plus radical, d'une véritable conversion de son identité et de son mode de vie. Dans cette perspective, on pourra analyser les registres que les acteurs mobilisent pour justifier leurs bifurcations et leurs choix ; on questionnera notamment la place et les usages des émotions et des affects, à partir de catégories telles que celle de « traumatisme » (Fassin, Rechtman, 2011), qui façonne aujourd’hui un certain nombre de postures militantes.
Il s'agira également d’analyser les réponses concrètes que les citoyens convaincus de l’effondrement développent. Si toute une littérature s’est déjà écrite autour des initiatives de transition (Hopkins, 2010), des formes plus accentuées de déconnexion sont également observables, qu’elles soient collectives ou plutôt individuelles / familiales. Dès lors ces pratiques pourront être appréhendées à partir des possibles qu'elles dégagent mais aussi des ambivalences, des tensions qui les traversent ; quelles sont les innovations politiques et existentielles que les acteurs produisent ? En quoi les choix qu'ils opèrent peuvent-ils aussi les conduire à des formes de retrait, de renoncement ou de dépréciation des formes de lutte ?
Des contributions portant sur les transformations des identités ainsi que des modes de vie individuels et collectifs liées à la perspective de l’effondrement ou pour y faire face sont ainsi attendues.
Les propositions de contribution venues des SHS sont attendues pour le 30 juin 2019. D’une longueur d’une page (maximum 3000 signes), elles sont à déposer sur https://collapse.sciencesconf.org
Pour toute question, écrire à paul.cary@univ-lille.fr
Les auteurs préciseront leur nom et rattachement institutionnel.
Références
Beau R.et Larrère, C., 2018, Penser l’Anthropocène. Paris, Presses de Sciences Po.
Bonneuil C. et Fressoz J.-B., 2013, L’Événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Paris, Seuil.
Doidy E., 2014, « La mise en récit de l’engagement : contribution à une sociologie de l’expérience publique », in S. Ertul, J.-P. Melchior, C. Lalive d’Epinay (dir.), Subjectivation et redéfinition identitaire. Parcours sociaux et affirmation du sujet, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, p. 267-277.
Dupuy Jean-Pierre, 2004, Pour un catastrophisme éclairé, Paris, Seuil.
Fassin D. et Rechtman R., 2007, L’Empire du traumatisme. Enquête sur la condition de victime, Paris, Flammarion.
Hopkins R., 2010, Manuel de transition, Paris, Ecosociété
IPCC, 2018, Global warning of 1,5°C, Summary for policymakers, WMO et UNEP.
Latouche S., 2015, « Une société de décroissance est-elle souhaitable ? », Revue juridique de l’environnement 2 (Volume 40), p. 208-210.
Martuccelli D., 2014, Les sociétés et l’impossible. Les limites imaginaires de la réalité, Paris, Armand Colin.
Meadows D., Meadows D., Randers J., 2012, Les limites à la croissance, Paris, Ed. Rue de l’échiquier.
Servigne P. et Stevens R., 2015, Comment tout peut s’effondrer, Paris, Seuil, Collection Anthropocène.
Steffen, W.; Richardson, K.; Rockström, J.; Cornell, S. E.; Fetzer, I.; Bennett, E. M.; Biggs, R.; Carpenter, S. R.; de Vries, W.; de Wit, C. A.; Folke, C.; Gerten, D.; Heinke, J.; Mace, G. M.; Persson, L. M.; Ramanathan, V.; Reyers, B.; Sorlin, S., 2015, « Planetary boundaries: Guiding human development on a changing planet », Science, 347 (6223): 1259855. doi:10.1126/science.1259855